J’ai fait trois voyages en Roumanie à l’époque communiste.
Il m’en reste une poignée de photos, on en prenait peu à l’époque (d’avant le numérique) et certaines bobines ont été perdues. Voir diaporama.
Le premier en juillet 1978 (j’avais 13 ans) avec le Centre Aéré de ma ville (article Nouvelle République). On a passé un mois dans le village de vacances pour pionniers de Navodari, au nord de Constanta, avec des centaines d’enfants de tous les pays communistes de la planète (le groupe français partageait sa chambre avec les russes… pas triste !) dans le cadre d’un « Festival international des enfants du monde pour la paix » (Festivalul international copii lumii doresc pacea).
Le Tabara Navodari existe toujours et n’a pas trop changé, seuls les pionniers ont disparu.
Ma famille n’étant pas particulièrement coco, j’avais déjà tout le recul nécessaire pour observer l’embrigadement à l’oeuvre… mais ce sont aussi des souvenirs exceptionnels. C’est là que j’ai rencontré Ion, un jeune de mon âge, pratiquement bilingue en français avec qui je suis resté en contact par la suite. Il y avait aussi d’autres découvertes : perdre aux échecs face à un russe (rend modeste), les bouteilles de Pepsi (made in Romania) très bon marché, les cigarettes Carpati (encore plus bon marché), le sable plus que brulant de la Mer Noire, les médailles des pionniers que l’on troquait contre des stylos Bic…
En 1980, je suis retourné en Roumanie, en train avec mes parents, à l’invitation de la famille de Ion. A ce moment là, les roumains pouvaient encore accueillir des étrangers à leur domicile mais pour quelques jours. Ensuite l’hôtel étaient quasi obligatoire (avec le tarif étranger soit plusieurs fois le prix payé par les roumains). Aidés par la famille, on a quasiment toujours truandé, le bakchich à coup de paquets de Kent ou de Marlboro aidant bien… On s’est beaucoup baladé dans le pays en voiture : Carpathes, Sibiu, Brasov, Bucarest, Constanta, Mangalia (Saturn). (Plus une excursion en avion vers les monastères de Bucovine). La famille roumaine avait une Dacia 1100 et un ami médecin leur avait prêté sa Dacia 1300 presque neuve pour mes parents. Énorme signe de confiance étant donné le coût et la difficulté de se procurer une voiture à l’époque ! Je n’ai pas souvenir que la vie quotidienne était vraiment trop difficile à ce moment là, bien sûr les libertés étaient très limitées, interdiction de contester ou de voyager à l’étranger. Aucun produits importé sauf chinois, et des Tourists Shop où on pouvait acheter tous les derniers produits occidentaux uniquement en dollar… pour la nomenklatura. On pouvait trouver de la nourriture sans difficulté et rien ne manquait vraiment à condition d’anticiper les approvisionnements typiques des pays communistes : une semaine il n’y a que des chaussures pointure 39, etc.
Les étrangers pouvaient encore circuler librement dans le pays, la milice ou la Securitate ne semblant pas trop intéressées. Aucun contrôle particulier dans mes souvenirs. Mais déjà la corruption était généralisée, ce qui surprenait le plus un occidental habitué à des services publics ou privés plutôt honnêtes dans l’ensemble… Avant de reprendre le train pour la France, nous avons passé quelques jours à Bucarest : le Hanul Manuc était notre cantine le soir, bonnes bières au Caru cu Bere, hôtel proche du boulevard Balsescu, la belle vie pour un prix dérisoire (à l’époque, j’imagine que ça dû bien changer) et il fallait bien liquider nos derniers lei qui n’étaient pas changeables en devises.
Lorsque j’y retourne en juillet 1984, seul cette fois, l’ambiance s’est fortement dégradée. Dès l’arrivée à la gare de Tirgu Jiu où me retrouve Ion, il me donne les consignes : ne pas parler français en public, on ne va rester à l’appartement que deux jours, être le plus invisible possible même si les vêtements occidentaux trahissent presque à coup sûr dans une ville de province. J’avais la panoplie de l’ado de l’époque : jeans Levi’s, tee shirt et tennis Adidas, Ray-ban… toutes choses impossible à trouver sur place sauf dans les fameux Tourists Shop avec une grosse liasse de dollar ! Les parents de mon ami ayant divorcé, nous voyageons par le train, en première classe (un étranger doit être bien traité !) à quatre : mon ami, son frère de 22 ans et sa mère. Au programme : camping sous la tente à Cluj puis Baia-Mare, d’où nous partons en excursion sur une journée avec Ion jusqu’au fameux cimetière peint de Sapanta. Nous y allons en bus à l’aller et en auto-stop au retour (pratique complètement interdite) dans une vieille Dacia 1300 qui tombait en morceaux (le tableau de bord menaçait de s’effondrer…) en roue libre dans les descentes (assez nombreuses…). Bref, un miracle que tout ce soit passé sans incident. Ensuite nous sommes descendus sur Brasov et Bucarest pour reprendre un train vers Mangalia (Mer Noire) où ils avaient de la famille gérant un hôtel et une discothèque…
A cette époque la nourriture devient très difficile à trouver dans l’intérieur du pays, la viande est rarissime ou archi grasse, les légumes seraient invendables à l’Ouest, on se bourre de pain, de mamaliga (je déteste le maïs…), de riz… on transporte avec nous des bocaux de nourriture qu’ils ont mis de côté en prévision de ma venue. Ça ne contribue pas à alléger le poids des sacs à dos ! Même dans les restaurants un peu « chics » (avec des nappes trouées) la nourriture n’est pas très bonne et dans les auberges, snacks ou routiers c’est limite comestible.
Deux évènements marquant sur cette fin de séjour : à la gare de Bucarest nous rencontrons un « étudiant » qui entame la discussion directement en français et qui semble savoir précisément par où nous sommes passés les jours précédents. Mon seul contact avec la Securitate… pour un petit interrogatoire dans le hall de la gare sans doute plus pour impressionner mes hôtes que moi-même. Ça jette un froid tout de même… et je me rappellerai toujours ses mains comme des battoirs qui contrastaient avec son allure juvénile. Bref l’ambiance est maussade sur le trajet vers la Mer Noire (le paysage n’est déjà pas terrible…).
Quelques jours après, Ion m’emmène à un concert privé dans un petit théâtre en extérieur en bord de plage. Nous passons par dessus le mur en refilant un paquet de Kent au flic qui surveille la ruelle et nous voilà dans une ambiance incroyable : des chanteurs et poètes que je ne connais pas (dommage que je n’ai aucune trace de ça) mais apparemment très connus pour être des contestataires voire des opposants au régime interprètent des chansons et déclament des poèmes devant quelques centaines de personnes qui rient et sifflent à chaque fois qu’il y a une allusion au Conducator… Surréaliste. Mais je n’en mène pas trop large car je n’ai vraiment pas envie de finir mon séjour à l’ombre… Et pourtant tout ce passe bien. Probablement que le public n’était constitué que de jeunes issus de la nomenklatura, les mêmes qui allaient faire fortune avec l’effondrement du communisme. Je n’ai plus de souvenirs de mes derniers jours en Roumanie, juste le stress de repasser par la gare de Bucarest avec l’impression d’être espionné (mais on devient vite parano) et le « ouf » de soulagement une fois la frontière passée. Un voyage pas de tout repos mais qui laissera des traces indélébiles, évidemment la beauté des paysages mais surtout l’incroyable gentillesse des gens pour accueillir un étranger à leur risque et péril et l’immersion dans ce que peut être la vie dans une dictature impitoyable et… grotesque (les librairies à moitié pleines des oeuvres de Nicolae et Elena, par exemple).
Ps : ce récit est né d’un échange de mail avec Eric Eliahou, rédacteur en chef-adjoint du Blog Automobile et amateur éclairé de voitures des anciens « pays de l’Est », qui a vécu en Roumanie. Merci à lui de m’avoir donné l’occasion de rassembler mes souvenirs roumains.
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