Au débouché de la rue des Écoles, une ruelle. Pente brusque en descente. Perspective lointaine et brouillée. Feuillures, poteaux, fils électriques, fils téléphoniques. Étagement anarchique. Plus loin, presque indistincts, autres fils. Autres mâts. Caténaires. Lampes, toits de tôles, industrie, antennes, paraboles. Et plus loin. Au fond du lointain, au pied du cèdre géant. Des tombes. Blanches, grises. Petites choses ténues éclairées d’un faible soleil d’hiver, abritées sous les ramures du persistantes. Vraiment loin des hommes, des fils et des liens. Fixées dans le froid mordant de ce matin.
Auteur/autrice : François
Fast book
L’implantation de bibliothèques au plus près de la population, que ce soit en centre ville ou en périphérie urbaine, se heurte fréquemment à la question des coûts et de la place disponible. Créer une bibliothèque est un investissement lourd. L’établissement occupe inévitablement une surface importante, ce ne serait que pour stocker tous les ouvrages, recevoir le public, permettre le travail interne. Espaces auxquels il faut ajouter, dans le meilleurs des cas, ceux consacrés aux animations (heure du conte, coin lecture, auditorium, etc.) ou à la consultation sur place.
En centre ville ces mètres carrés sont souvent indisponibles ou à des prix prohibitifs. En plus de l’investissement, les coûts de fonctionnement sont importants : prêter, ranger, stocker des supports physiques, mais aussi les traiter en terme de bibliothéconomie, suppose un personnel relativement nombreux (et jamais assez dans les faits).
Le numérique permettrait de changer totalement la problématique. A côté, en complément, des bibliothèques traditionnelles, pourraient se créer des micro-bibliothèques sans aucun supports physiques. Le public y recevrait, contre caution ou en location, une tablette de lecture (lecteur e-book ou autre) permettant aussi le stockage de fichiers qu’il rechargerait à des bornes en livres, périodiques, disques ou vidéos de son choix. Une sorte de fast food culturel, qui pourrait tenir dans quelques dizaines de mètres carrés, comme n’importe quelle boutique de centre ville, de galerie commerciale ou de faubourg. Évidemment il ne s’agirait pas réellement de bibliothèques ou médiathèques mais de points d’accès rapides à installer, économiques (on peut même envisager une industrialisation du modèle à l’instar des boutiques franchisées de grandes marques) et accessibles. Une ou deux personnes pourraient suffire pour le fonctionnement.
A la fois porte d’entrée et point-relais de la bibliothèque centrale, reliée informatiquement avec celle-ci, comme un terminal sur un réseau.
Rien n’empêcherait que s’y tienne de petites animations comme : rencontres avec un auteur, présentation de textes, de musiques ou de films. On peut imaginer aussi qu’elle serve de relais pour les réservations d’ouvrages en provenance de la centrale.
La dématérialisation peut aussi être un outil de développement de la culture et des bibliothèques : en permettant de s’approcher au plus près de la population (zones commerciales de centre ville ou de périphérie, lotissements, banlieues), en étant « techno-compatible » avec la culture des populations jeunes et/ou urbaines, en divisant les coûts d’investissement et de fonctionnement sur la création de nouvelles structures, en offrant constamment les nouveautés en tout point.
Le modèle suédois (3)
Pour finir sur le modèle Ikea et clôturer presque deux mois de réflexions intenses ;)
Nos bibliothèques sont conçues comme des magasins avec des rayonnages. Hormis une architecture habituellement plus ostensible, le concept est celui d’un supermarché : linéaires austères, caisses, points d’informations, libre service. L’environnement est plus soigné, sans clinquant commercial, les allées plus étroites sans doute par économie de place et absence de caddies. Les sections jeunesse et multimédia font parfois exception, du moins sur la frange : coin pour les petits, heure du conte, auditorium, etc…
Mais difficile de se sentir « chez soi » dans ces environnements neutres et fonctionnels (il n’y a pas là de critique esthétique). Ce qu’offre Ikea, c’est de faire comme « à la maison », mais une maison 100% Ikea où l’on est à la fois invité et rassuré, puisque chaque objet est familier. Intimité et curiosité. Proximité et désirs. L’appartement virtuel et pourtant crédible du magasin Ikea est une machine d’assimilation et de proposition. Les rayonnages sont à l’étage inférieur, invisibles au premier abord.
Transposé aux bibliothèques, se pourrait être un espace de vie, tout à la fois public et quasi-privé, lieu de rencontre mais aussi de solitude pour qui le souhaite. Je ne proposerai pas ici de modèle d’architecture intérieure ou de décoration, l’important tient dans la capacité à accueillir et retenir. Et pour retenir il faut offrir ce que le public a peu ou pas à la maison : un environnement dédié au plaisir, aux sens, à l’intelligence, au partage. Là est le coeur et la raison d’être d’une bibliothèque. Que les livres, disques, DVD, Blu-ray… sagement (bien) rangés ne soient pas loin, mais à la périphérie, comme les rayons autour du soleil. Vous voyez l’image. Les rayonnages en rayon. Si possible pas trop haut, pas trop pleins. Là encore, s’inspirer des librairies, même des Fnac ou Megastore, autrement plus conviviales que les bibliothèques. Et plus loin, ou plus bas comme chez Ikea, un espace de stockage fonctionnaliste, industriel.
Cet espace central, ou plutôt ces espaces si l’on imagine un fractionnement comme autant de pièces intimes, chacune avec son atmosphère, n’aurait pas vocation à être une démonstration de style ou de design, mais des lieux habités, vivants ou puisse naitre des codes ou des rites. Supports d’écriture, de conseils de lecture ou de films, ateliers d’artistes, ateliers d’écriture, studios de musique, points d’information et de rencontres avec des experts, conférences, projections…Pourquoi pas des espaces vierges, vides, laissés à la libre disposition de petits groupes pour les meubler, les décorer, s’y montrer.
Et des jouets pour les plus petits, et des consoles de jeux vidéos pour plus grands.
Et bien entendu le boire, le manger et le Net. Accessible partout, fusionné avec les services d’information, irriguant les tablettes de lecture disponibles, les smartphones des usagers, la diffusion musicale, les moniteurs vidéos.
Une bibliothèque du temps présent, avec une nouvelle mission. Permettre les conditions de développement de réseaux sociaux IRL (dans la vraie vie). Et le modèle pourrait être Facebook.
PS : Quelques idées empruntées à la fantastique bibliothèque de Delft
Le modèle suédois (2)
On a vu dans la première partie que la prise en compte du public était une composante majeure du succès de la chaine suédoise. Le client est acteur, on lui enseigne que c’est lui, par sa participation aux charges (manutention, transport, information), qui permet de maintenir des prix bas. Le client est au centre de la communication, au centre du magasin. Vraie ou fausse, la communication fonctionne car elle semble sincère, logique et efficace. Transparente en un mot, comme l’eau des fjords ou l’aquavit. Et tout concours à rappeler cette simplicité sans malice venue du Nord. Couleurs primaires, design dépouillé, noms suédois et même panneaux géants présentant certains aspects de la culture scandinave.
Culture, le mot est posé. IKEA est une référence culturelle autant, sinon plus, qu’un marchand de meuble. Au même titre qu’une bibliothèque et peut-être même davantage. Comme un lieu de découverte et de partage culturel, que l’on pourrait acquérir. Mettre dans un chariot, emporter chez soi, déballer, assembler en suivant le célèbre guide de montage qui est sans doute la bande dessinée la plus diffusée au monde.
On pourrait s’étonner que la vente de livres, de disques, de dvd ne fasse partie du panel des objets vendus. Sans doute à cause de la faible visibilité de la scène culturelle scandinave en dehors de ses frontières et notamment en France, sauf quelques exceptions ponctuelles. Il semblerait que les magasins IKEA suédois couvrent beaucoup plus de domaines. Mais ce serait cohérent, lorsque IKEA vend de l’alimentation suédoise ce n’est pas pour augmenter son chiffre d’affaire, c’est pour aller au bout de sa logique. La culture comme une identité commerciale.
Nos bibliothèques se posent naturellement comme des antithèses de ce modèle : à la fois ontologiquement « culturelles » et non commerciales. Double handicap au sein d’une société où, majoritairement, le modèle marchand est reconnu comme un étalon d’efficience, un vecteur incontestable de mixité sociale et où le « culturel » est plus ressenti comme un instrument de clivages sociaux (les cultures plurielles) que de consensus structurant comme peuvent l’être les enseignes Darty, Carrefour ou Décathlon. La culture dominante n’est pas dans les bibliothèques, il faut s’y résigner. Ou pas, si l’on imagine la possibilité de l’y faire entrer, non pas insidieusement comme ont servi parfois, du moins dans un premier temps, les disques, les vidéos puis les accès Internet, mais ouvertement, et avec sincérité, à la manière du modèle suédois.
Le modèle suédois (1)
Au début il y a le concept IKEA. Non, pas le « design démocratique », ni le kit en cartons plats, l’autre concept. Celui du magasin-showrom-entrepôt-restaurant. Depuis toujours l’enseigne suédoise fidélise et accroit sa présence, dans le monde entier, via ses magasins. Et à l’heure d’Internet, ne pratique la VPC qu’avec parcimonie et sans faire d’effort sur le coût des livraisons.
Le magasin IKEA est un temple et le fidèle doit s’y rendre. Il s’y rend avec plaisir habituellement, s’en fait même une fête, l’occasion d’une sortie familiale. Et rarement gratuite. On ne sort pas du magasin IKEA les mains vides. C’est inconcevable. Mais avec la joie, presque la fierté, d’avoir trouvé le « truc » nouveau, l’objet que l’on cherchait, le meuble indispensable. (Les voitures sont souvent trop petites pour les fidèles IKEA).
Quel rapport avec les bibliothèques ? Aucun, souvent. Et c’est justement le souci. Pour caricaturer on dirait que le magasin IKEA est une non-architecture pleine de vie, la bibliothèque souvent une sur-architecture pleine de vide. Car ce n’est pas le contenu qui fait le plein, c’est l’organisation du contenu qui rempli le vide.
Un magasin IKEA n’est pas un magasin de meuble ou de décoration, c’est un parcours initiatique qui doit transformer le visiteur en fidèle. Et procurer au fidèle une expérience renouvelée, à la fois familière et surprenante. Rien de moins.
En quelques mots, déroulons ce parcours : On entre au premier niveau, qui n’est pas forcément le rez-de-chaussée : immédiatement après l’entrée, le Smaland, l’espace des enfants avec animateurs qualifiés, gratuit, sécurisé. On monte tout de suite au niveau haut. C’est là le coeur du magasin : un immense plateau mais qui n’apparait jamais dans sa totalité puisque divisé en autant d’univers correspondant aux différentes pièces de la maisons, ou familles de meubles. Dans chacun des univers un espace d’exposition de meubles assez traditionnel bordé par des mises en situation avec de véritables pièces totalement reconstituées et décorées. Chacune développant une ambiance différente et illustrant le potentiel créatif du mobilier. Les univers sont reliés par un chemin balisé qui serpente de façon à optimiser la zone de curiosité du visiteur tout en évitant l’ennui des allées droites. A la sortie de ce labyrinthe où l’on ne peut se perdre, le restaurant suédois, un self spacieux et lumineux et la descente vers le niveau inférieur : un immense libre service d’objets de maison, vaisselles, luminaires, tissus, etc. suivi du dépôt de meubles où le client se sert directement sur les rayonnages en fameux paquets plats. Enfin, on parvient aux caisses et derrière, pour finir, une épicerie suédoise et une cafétéria.
Pour résumer : on découvre, on touche, on note avec son petit crayon de bois offert, on s’inspire, on planifie avec les ordinateurs mis à disposition, puis on fait son choix, on se sert, on se fait plaisir. Le chariot se remplit. D’abord la découverte puis la satisfaction. Mais aussi prendre le temps de manger, boire un verre, laisser jouer les enfants. Oublier le temps.
J’essaierai de cerner dans une seconde partie, en quoi ce modèle extrêmement élaboré pourrait inspirer les bibliothèques pour les rendre aussi attractives qu’un magasin IKEA. Ce qui est toujours plus difficile lorsqu’il n’y a rien à vendre.
Le livrel a des boutons
À nouveau travail, nouveaux outils. Et je ne parle pas du poste de travail, quitter un Linux dernière génération pour cohabiter avec un XP même SP2 s’apparente à un violent retour vers le passé, mais qu’importe, ce n’est qu’un outil et l’on sait que le bon ouvrier, etc.
Dans mes nouvelles fonctions, j’ai la tâche de réfléchir à l’usage possible des ebooks (livrel) dans un réseau départemental de lecture publique. Comme tout le monde je m’interroge, nous nous interrogeons, bref on se demande quoi en faire.
Mais après avoir rédigé une série d’articles sur l’état de l’art en matière d’ebooks, j’ai enfin la possibilité d’en manipuler un, de l’allumer (rapide), de l’éteindre (idem), de télécharger des livres. Et de lire ?
J’éluderai la question pour le moment car je n’ai pas pris encore le temps de jouer le jeu. C’est à dire l’utiliser comme un vrai livre. Je sens bien là un léger point de blocage, comme une butée inconsciente. J’y reviendrai.
Comme objet à manier des livres (j’ai failli écrire manipuler mais c’est excessif), l’ebook et notamment celui-ci, le PRS-505 de Sony, est un peu contradictoire. C’est un bel objet d’aluminium, très chic mais couvert de boutons disgracieux. L’écran n’est pas tactile, et il paraît que c’est tant mieux, mais ça a entrainé une poussée d’urticaire sur l’interface. Boutons, au demeurant, assez raides et un peu fatigants à l’usage (les changements de pages).
C’est en fait le principal défaut. L’ergonomie est médiocre, finalement pas si intuitive et plutôt lente. Deuxième défaut. L’ebook de Sony est moins véloce que mon netbook qui vaut (valait) pas plus cher, même pour lire des livres électroniques. Et on peut s’interroger : est-ce le prix du fabuleux écran e-ink ? est-ce la marge du fabricant ?
On est sur une toute petite niche commerciale, la guerre des prix n’a pas commencé. Mais si personne ne prend de risques, la niche a peu de chance de devenir un salon, de lecture bien sûr.
Versailles a-t-il (encore) une âme ?
La saison des ponts et des week-ends à rallonge peut être l’occasion de sorties familiales aussi culturelles que dépaysantes. Lorsqu’on habite en province, cette vaste zone indifférenciée qui n’a pas les Tours Eiffel et Montparnasse émergeant de l’horizon (brouillé), ces sorties peuvent avoir pour destination l’Ile de France et comble de l’originalité, le château de Versailles. Les enfants servent habituellement de prétexte (éducatif) mais c’est un peu moins hypocrite que pour Disneyland.
Cela faisait environ huit ans je ne n’y étais pas allé et je me faisais un plaisir de retrouver l’atmosphère baroque et rêveuse des parcs et jardins. Ces promenades sans fin, de bosquets en fontaines, de parterres fleuris en bois secrets. Ces perspectives étonnantes sur le grand canal, ces ruptures de style depuis le bassin d’Apollon jusqu’au domaine de la reine.
Las. C’était sans compter qu’un jour férié le parc du château est cadenassé pour cause de grandes eaux (j’avais projeté en cette première journée, une traversée jusqu’à Trianon) et, quelques kilomètres de marche sous le soleil plus tard, que le domaine de Trianon est devenu intégralement payant. Ce qui signifie que toutes les grilles sont closes hors guichets. Autant payer pour visiter les châteaux semblait sinon normal, pour un domaine national, du moins compréhensible (usure, dégradations, personnel), mais payer pour se promener dans des jardins me semble plus discutable, même si le prix est raisonnable et qu’il regroupe jardins + châteaux, décourageant de fait la simple promenade. Le mesure semblait dater de 3 ans environ (information rabâchée par les gardiens fréquemment interpellés : le peuple n’a pas oublié que Versailles lui appartient).
La dîme ayant été prélevée (10€ par adulte, gratuité pour les enfants) on accède enfin aux jardins de Trianon et c’est là que la monétarisation du site prend toute son absence de sens… passer du grand au petit Trianon s’apparente à un vrai jeu de piste : grilles fermées, cul de sacs en tout genre, signalisation quasi-inexistante. Le visiteur doit être dans une excellente forme physique car il ne lui sera épargné aucun détour, revirement, repassage sur ses traces. Du moins s’il persévère jusqu’à trouver le fameux petit pont qui rattache les deux domaines.
N’espérez pas, depuis le grand Trianon, lorsque vous débouchez sur cette perspective majestueuse vers le grand Canal, descendre le magnifique double escalier et poursuivre votre promenade le long des eaux calmes. Cadenassé.
Alors, lorsqu’on a connu avant… La fluidité des espaces, la liberté de déambuler sans but et sans contrainte, les surprises des points de vue inespérés, des passages mystérieux, la sensation de cheminer hors du temps… On se sent aussi un peu cadenassé. Et on apprécie la beauté des lieux, mais on ne goûte pas. Comme si l’essentiel n’y était plus.
Ballard et « La route »
La mort récente de J.G. Ballard m’a rappelé à quel point j’ai aimé ses livres, il y a quelques années. Et je ne pense pas particulièrement à des titres comme Crash ! ou I.G.H, dont l’originalité et la violence moraliste sont reconnus de tous, mais plutôt à ses premiers romans écrits dans une veine post-apocalyptique : Le Vent de nulle part, Sécheresse et le Monde englouti.
La lecture en continu des trois textes n’est d’ailleurs pas recommandée, tellement ce sont des déclinaisons proches d’une même thématique : à la suite d’une catastrophe naturelle majeure (provoquée ou pas par la mauvaise gestion écologique des hommes) quelques rescapés doivent reconstruire une vie possible malgré la nature (très) hostile et le retour vers la barbarie des survivants. Ce qui fait la force de cette science-fiction moderne, c’est la qualité de l’écriture. A la fois poétique, lyrique, précise et cinématographique. Ballard est un styliste discret et un moraliste impitoyable. (Pour un versant plus encore poétique et baroque de son oeuvre, je conseille très chaleureusement la lecture de Vermilion Sands).
J’en étais là de mes remémorations ballardiennes en apprenant sa mort à la radio (France Inter ou Info, c’est dire l’influence de ce presque octogénaire britannique sous nos contrées moins sensibles à l’anticipation habituellement).
Et s’imposa le lien avec le seul livre qui m’ait vraiment capté ces derniers mois : La route de Cormac McCarthy. Non pas que je sois particulièrement adepte du genre post-apocalyptique, même si, à la réflexion, cela a souvent produit des choses intéressantes notamment sur le plan esthétique. Mais il me semble qu’il y a chez McCarty comme chez Ballard une vibration semblable, ce goût du désastre, la beauté de la catastrophe et l’horreur de l’homme livré à ses instincts. Mais aussi la beauté de l’humanité lorsqu’elle transcende l’animal et sa fragilité. Le grotesque enfin : réduit à pousser un chariot de supermarché sur des routes infestées de presque « zombis » cannibales, l’homme se poursuit dans le souvenir de ce qu’il a perdu au risque de s’y dissoudre et s’y perdre.
A quarante ans d’écart, la catastrophe de McCarthy est étrangement semblable à celle de Ballard, écologique, culturelle et morale. Mais le propos est pourtant radicalement différent : au positivisme concret de Ballard (qui n’exclut pas un pessimisme primordial) s’oppose la vision biblique (ou anti-biblique) de McCarthy. Au bout de la route, ce sera la renaissance ou la disparition mais l’héritier (le fils) est bien le porteur de l’humanité, la petite flamme vacillante que lui transmet le père, dernier témoin d’un monde à jamais effacé des mémoires, ne subsistant plus que par ses épaves.
Pour Ballard, l’enfant n’est pas forcément un héritier, il peut être une menace, contre l’ordre établi, contre la civilisation. Et le premier à s’adapter à une barbarie en laquelle il meut librement. (cf. le terrifiant Sauvagerie (Running Wild d’abord traduit Massacre de Pangbourne ) ou même les souvenirs d’enfance de Ballard dans Empire du soleil).
McCarthy est plus contemporain : il constate mais ne répond pas. Car le sens est dans le lecteur, donc dans la littérature. Pas ailleurs. Seule la nature, détruite, frémissante, suffocante, impose sa magistrale indifférence.
Le salaire du créateur
Le projet de loi Hadopi aura peut-être pour seul mérite, voire pour seul effet, de remettre sur le devant de la scène la question de la « nécessaire rémunération des artistes ». Posé comme ça, c’est à dire comme un menhir dans une lande bretonne, ça semble une évidence éternelle qu’un artiste doit être rémunéré. Derrière le préchi-précha que tout le monde a le droit de vivre de son travail, on en arrive à considérer la création artistique comme un « travail » et c’est là que le bat blesse comme on dit.
Je ne suis pas du tout spécialiste de la question du droit d’auteur, mais il me semble que le droit patrimonial n’a jamais signifié que l’art était une marchandise comme les autres, quoiqu’en ai pensé Warhol (mais est-ce si sûr ?). Il me semble normal que, lorsqu’une exploitation commerciale est faite du travail d’un artiste, celui-ci ai le droit de percevoir une somme d’argent qui pourra être forfaitaire ou/et un pourcentage sur le produit de la vente. Le créateur ou l’interprète est rétribué dans ce cas, c’est légitime, et on pourra s’étonner qu’il le soit si peu, en pourcentage sur le prix total du produit, alors qu’il en est lui même la valeur intrinsèque. Vous achèteriez un CD d’Universal ? non, vous achetez un CD de Thomas Dutronc ou de Yves Simon. Universal on s’en fout. Le disque serait auto-produit, pour nous, le client, ce serait la même chose. Sauf qu’il serait sans doute moins cher et qu’il rapporterait davantage à son auteur.
Mais là n’est pas la question. J’achète un CD (ou un DVD) : c’est à la fois un objet (parfois esthétique, informatif, valorisant), une technologie (j’achète une qualité sonore irréprochable, du moins en théorie) et un contenu. Mais il faudrait distinguer : si j’achète bien un objet CD, je ne fait que bénéficier (ou pas) d’une technologie et je n’ai aucune possession sur le contenu. En fait, je ne paie pas le contenu. Je paie pour l’obtenir c’est tout. La preuve en est, que j’ai parfaitement le droit de le faire entendre à toutes les personnes présentes chez moi (il n’y a que l’exécution publique qui donne lieu à l’intérêt de la SACEM), que je peux le prêter à qui je veux, le revendre, le donner, etc. et que je peux l’écouter autant de fois que je veux. Ce n’est pas l’auteur qui me donne ces droits là, c’est juste la possession de l’objet CD.
Je plains les producteurs et techniciens de disques : le système qui génère pour une bonne part leurs revenus, qui a été mis en place et jamais révisé par les maisons de disques, repose sur le commerce d’un objet. Supprimez l’objet, il n’y a plus de revenus directs. Cela a fait la fortune des maisons de disques (les « majors ») et cela fera la paupérisation et peut-être la disparition, sous leur forme actuelle, des métiers de la musique. Les compagnies, pour leur part, réviseront leur « business plan » et trouveront d’autres débouchés, quitte à réduire beaucoup la voilure. Mais ce sont les bénéfices qui comptent, peu importe le chiffre d’affaire.
Si je télécharge le même album sur Internet, j’ai le choix entre un téléchargement dit légal, donc payant et cher (pratiquement le même prix que le bon vieux CD que je reçois le lendemain en commandant par un disquaire en ligne) et le téléchargement dit illégal, donc gratuit. Pendant quelques temps les fichiers téléchargés légalement avaient la particularité d’être bridés de plein de manières diverses et variées, mais avec la généralisation du format MP3 et l’abandon des DRM ils sont devenus aussi utilisables, et parfois meilleurs techniquement, que les fichiers illégaux. Un vrai progrès, en somme. Sauf que les fichiers légaux sont condamnés à se retrouver sur les serveurs illégaux… et la boucle est bouclée. Le problème de la musique dématérialisée est insoluble.
Ce qui explique aussi que la seule réponse qu’ait trouvé le gouvernement soit une usine à gaz juridique et technique qui débouche inévitablement sur une utopie de filtrage intégral du net français. Et qui ne rapportera rien de plus au créateurs, donc de moins en moins, en suivant la même pente que celle de la vente de CD.
Si on repose le problème de façon plus provocatrice : les artistes ne sont pas des salariés ni des artisans, s’ils vivent de leur création c’est un privilège rare mais rien ne semble justifier qu’il faille payer à priori pour pouvoir les entendre, les lire ou les voir. Eux-même ne devraient pas le souhaiter mais plutôt désirer que leur création soit le plus largement accessible, librement, à tous. Internet permet cela, tout comme les bibliothèques. Que l’on paie pour les voir en concert, pour obtenir des mises en support ou en valeur de leur création, des produits dérivés…, évidemment. C’est aussi une manière pour leur public de soutenir leur travail et il en a toujours été ainsi.
Le vrai danger c’est la destruction du tissu professionnel qui permet aux artistes de réaliser leurs oeuvres. Et c’est pourquoi la licence globale est bonne. Quelle autre dispositif permettrait de continuer à irriguer la profession de façon régulière et responsable ? Tout comme la taxe sur la copie apposée aux support de stockage, qui sans autoriser la copie hors du cercle de famille, permet d’en compenser la pratique, la licence globale ne légaliserait pas la contrefaçon lucrative mais dépénaliserait la copie personnelle donc le P2P.
J’en suis là dans mes réflexions…
Neulander (Smoke + fire) : l’album sorti de nulle part
Neulander est une énigme pour moi. Comment ces deux-là ont pu produire en 2004 un album miraculeux (pour moi, s’entend) et disparaitre de la scène, je ne me l’explique pas. Miraculeux à plus d’un titre : il est rare que j’ai autant écouté un disque et à chaque fois retrouvé les mêmes émotions ou encore d’autres. Et ce disque est difficile à classer, complexe, croisement de toutes sortes d’influences et pourtant sobre, simple et presque minimaliste. Survolé par une voix étrange et étrangère. (*)
Neulander c’est le groupe. On a juste les informations fournies par leur label Disko B ici et là. Et abondamment reprises partout.
Et une page MySpace.
Pour résumer, Neulander c’est l’association, pour un album, de Korinna Knoll, artiste graphiste et chanteuse d’origine autrichienne et de Adam Peters, anglais . Si la première semble pratiquement inconnue, le second est un musicien renommé, violoncelliste, compositeur et surtout arrangeur et instrumentiste pour des groupes anglais phares des années 80 : Echo and The Bunnymen, Souxie and The Banshees ou encore Lloyd Cole.
Il s’installe à New York ensuite, où il travaille sur des musiques de films et de séries TV. C’est là qu’il rencontre Korinna Knoll. Le couple, marié dans la vie, travaille ensemble sur le projet Neulander. Leurs premiers enregistrements ( CD 4 titres « Sex, God + Money ») en 2003 sont remarqués par le New York Times et la critique musicale. L’année suivante sort l’album 10 titres « Smoke + fire » et une tournée américaine puis européenne (Allemagne, Autriche) jusqu’en 2005.
Le couple quitte New York cette année-là pour s’installer en Californie à Joshua Tree dans le désert. Les motivation de Adam Peters : « »Nous avons voulu vivre au milieu de nulle part à proximité de quelque chose. Nous avons suffisamment visité de galeries d’art et avons été à suffisamment de concerts et je n’ai pas envie de voir ou d’entendre quoi que ce soit d’autre. Tout ce que je voulais faire était de travailler. » (source)
Sur la page MySpace on peut écouter deux morceaux inédits et voir deux photos : une de concert et une de leur jardin sans doute : un hamac, des cactus, un foyer éteint et un lapin en spectateur.
(*) qui n’est pas sans me faire penser à celle de Lætitia Sadier
la chanteuse de Stereolab.